les
conflits de la terre
la rupture des EQUILIBRES
LA RUPTURE DES ÉQUILIBRES
Cel qui est sensible pour la Sicile; c'est encore plus vrai pour le royaume
de Naples qui passa de 255 000 feux en 1505 à 422 000 en 1545 et 540 000 en
1595 : en Calabre par exemple, le nombre des feux double de 1505 à 1561
alors qu'il n'augmente plus que légèrement de 1561 à 1595. En Vieille
Castille la hausse est très forte de 1530 à 1561, beaucoup plus légère de
1561 à 1591. Il en est très probablement de même en Catalogne et en Provence
ainsi qu'en Languedoc où l'essor se ralentit nettement après 1570. La
situation est sans doute différente dans le royaume de Valence ou en
Andalousie. Mais aux Pays-Bas, en Angleterre, dans le Canton de Berne (où la
population passe de 40 000 à 65 000 habitants entre 1499 et 1538), c'est
encore le premier XVIe siècle qui paraît avoir été le plus fécond. A l'est
de l'Elbe, l'évolution est mal connue.
Dans de nombreux cas, la population a vraisemblablement doublé entre 1480 et
1560. Un problème se pose aussitôt : les ressources, et notamment la
production de denrées alimentaires, ont-elles progressé au même rythme? Ces
hommes deux fois plus nombreux sont-ils aussi bien nourris?
II faut admettre qu'on ne possède pas tous les éléments nécessaires pour
donner une réponse satisfaisante. Il est possible par exemple que les
progrès de la pêche dans les pays atlantiques (du Portugal à la Norvège)
aient permis un approvisionnement important en poisson, denrée de choix au
fort pouvoir nutritif. Mais il semble probable qu'une rupture de l'équilibre
entre les hommes et les ressources se soit produite pendant le deuxième
demi-siècle.
Une quasi-certitude d'abord : sauf en quelques terroirs, très réduits, les
rendements céréaliers n'ont pas augmenté au cours du XVIe siècle. Les
conclusions de Schlicher Van Bath, qui admettent une augmentation décisive
des rendements après 1500 en Europe Occidentale, ont été trop facilement
acceptées : elles érigeaient en loi générale des exemples trop peu nombreux.
Des travaux plus récents, surtout ceux de Michel Morineau, ont montré que la
hausse générale des rendements s'est produite très tard, en France au xtx`
siècle seulement. Les rendements très élevés en Hainaut ou Brabant par
exemple étaient les mêmes su Moyen Age. Ce n'est pas par des rendements
améliorés que l'on pouvait aussi bien nourrir un plus grand nombre d'hommes.
II y a davantage. Au plus fort de la hausse démographique certaines terres
ont été dérobées au grain pour satisfaire à des intérêts spéculatifs. Le cas
typique est celui de l'Espagne, de l'Andalousie surtout, mais aussi de
certains terroirs de Vieille Castille. La demande d'huile d'olive et de vin
par les Espagnols d'Amérique, à pouvoir d'achat élevé, a suscité sur ces
denrées une hausse des prix quia précédé de quelques années celle du blé. On
assiste ainsi à des mouvements de conversion de terres à blé en vignobles et
olivettes. L'Espagne alors, en cas de disette, croit pouvoir compter sur le
blé sicilien.
Aussi la seule réponse possible du siècle à l'augmentation du nombre des
hommes es telle l'extension des cultures. Car les plantes nouvelles ne
peuvent encore fournir en abondance les nourritures de relais : le mais
colonise lentement l'Espagne Cantabrique; les nouveaux légumes verts
(artichauts, aubergines, choux-fleurs, haricots, tomates), les melons, ne
sont encore que cultures de jardin dont l'Italie, l'Andalousie, la
Catalogne, la Provence, le Languedoc sont les laboratoires. Les fourrages
artificiels (luzernes, trèfles, navets) sont connus mais eux aussi comme
cultures de jardin malgré quelques progrès en Lombardie, Flandres, ou dans
le Norfolk.
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des articles
Les crises de
l'économie
L'extension des
cultures est, au XVIe siècle, une réalité d'évidence. Partout en Italie les
États et les capitalistes privés sont engagés dans de grands travaux de «
bonification » pour faire des terres nouvelles. Entreprise difficile que le
succès ne couronne pas toujoursen Toscane l'effort du Grand Duc pour faire
de la Maremme et de Val de Chiana un grand pays à blé ne réussit qu'à demi;
les travaux de la Seigneurie vénitienne pour assécher les marécages aux
environs de Brescia et dans la partie nord du delta du Pô coûtent cher et
rendent peu. Ailleurs le résultat est satisfaisant: ainsi, toujours sur la
terre ferme vénitienne, dans la zone de Trévise et le long du canal de la
Brenta, entre Venise et Padoue dans le royaume de Naples, sous l'impulsion
du vice‑roi, Pedro de Toledo, avec le drainage des marais de Cherranola et
de Marellano autour de Capoue et surtout dans la redoutable « Terra di
Lavoro », devenue la piu sana terra del mondo. En Lombardie, le canal de la
Mortesana est élargi en 1572 pour développer l'irrigation. Et les Génois
font de la terre aux dépens des marais de 1a côte orientale de la Corse. La
culture de blé gagne du terrain en Calabre et permet de ravitailler les
flottes espagnoles qui relâchent à Messine.
En Catalogne,
comme en Castille, les cultures reprennent possession des friches et font
reculer les pâturages : que ce soit en Nouvelle ou en Vieille Castille le
laboureur prend sur les bergers de la Mesta de fréquentes revanches. Nombre
de paysans, se comportant en « squatters » mettent en culture les terres
inoccupées (las tierras baldias) qui appartiennent à la Couronne. Des
communaux sont partagés pour être « rompus » et ensemencés. Beaucoup de
paysans sans terres peuvent accéder ainsi à une quasi‑propriété au moyen du
bail emphytéotique. On retrouve le même système en Languedoc où les villages
conquièrent, grâce aux emphytéoses, les garrigues marginales, tel ce bourg
de Langlade (près de Nîmes) qui se contentait en 1500 de cultiver les 306
hectares de sa plaine et qui y a ajouté, avant 1576, 44 hectares de garrigue
qui en deviennent 78 en 1597. L'assainissement des marais de la région
d'Aigues‑Mortes est de plus de profit mais ces beaux terroirs sont d'étendue
limitée.
Dans toute la
France l'extension des cultures entraîne de nombreux défrichements que
l'historien de 1a forêt française, Michel Devèze, a signalés : ainsi en
bordure de la forêt d'Orléans, lors des réformations de 1519, 1529, 1539, de
nombreux paysans sont condamnés pour avoir mis en cultures quelques arpents
aux dépens de la forêt; et des collectivités entières ont de 1520 à 1540
agrandi leur terroir en grignotant la forêt : ainsi Saran, Fleury, Chanteau.
De même sous
François II les défrichements sont‑ils importants aux confins de la
Normandie et de la Picardie (Comté de Gisors, comté de Clermont), en Brie
(bailliage de Provins), en Touraine, dans le Maine. Aux Pays‑Bas, la culture
mord au nord sur les marais et les étangs, au sud sur la forêt des Ardennes.
En Angleterre sur la draine Pennine, dans les comtés du nord (Cumberland par
exemple) et de l'ouest. En Allemagne et en Pologne le mouvement a dû être
plus important encore, ce qui expliquerait l'invasion de la Méditerranée
devenue déficitaire par les blés du nord après 1580, quoique l'exportation
ait pu se faire aux dépens des indigènes. Cependant il est sûr que la
colonisation de l'Allemagne orientale a repris dans les années 1520‑1530 et
s'est accélérée en Brandebourg et en Poméranie après 1550. On a vu également
que les surfaces cultivées en céréales avaient nettement augmenté en
Pologne.
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