La pénétration de la Réforme
(1516-1540). L'Église de France présentait, au début du XVIe siècle, les
mêmes faiblesses, les mêmes abus, les mêmes aspirations que les autres
provinces du catholicisme : médiocrité du bas clergé, relâchement des
réguliers, incohérence des nominations épiscopales, affaiblissement de la
spiritualité, impuissance de la recherche théologique, et, au-delà de tous
ces défauts, désir plus ou moins formé d'une rénovation religieuse. Encore
faut-il souligner que les liens de l'Église avec le pouvoir y sont plus
nettement affirmés qu'ailleurs, que le nationalisme y est plus marqué au
détriment de l'universalité (gallicanisme qui s'est manifesté aux conciles
de Constance et de Bâle aux dépens de la primauté romaine et que le
parlement défend au nom de l'indépendance du temporel), que la crise de la
théologie y est à la mesure de la réputation de la Sorbonne.
Les tentatives de réforme menées par le cardinal Georges d'Amboise, les
exhortations parfois triviales des prédicateurs mendiants, l'organisation du
collège de Montaigu par Jean Standonck en centre de formation d'un clergé
conscient de ses responsabilités et nourri aux sources du mysticisme flamand
sont autant de signes de la fermentation des esprits, mais aussi d'échecs.
La mise en tutelle du clergé de France par le Concordat montre la
prédominance des intérêts temporels sur les aspirations spirituelles.
Pourtant, dans la ligne de l'Humanisme érasmien, un mouvement d'idées se
développe autour de Lefèvre d'Étaples (c. 1450-1536). Ce jeune professeur
parisien suit un itinéraire spirituel qui le mène de l'aristotélisme et de
la relecture des textes antiques (il étudie le grec, voyage par deux fois en
Italie, fréquente l'académie d'Aide Manuce) au souci des problèmes
religieux. II lit les mystiques rhénans, visite les Frères de la Vie
commune, étudie les textes alexandrins (Hermes trismégiste, Denys), se
passionne pour l'exégèse. La protection de Guillaume Briçonnet, abbé de
Saint-Germain-des-Prés, lui permet de publier, en 1507, le Psautier
quintuple, en 1512, une nouvelle version des Épitres de saint Paul. Autour
de lui, un petit groupe d'humanistes, de religieux, tous soucieux d'allier
une meilleure compréhension des livres saints à une rénovation religieuse,
se forme. On s'y attache davantage à l'esprit qu'à sa lettre, on considère
l'Écriture comme la source essentielle du salut, on se croit autorisé à
rejeter les traditions qui ne sont qu'humaines.
L'élévation de Briçonnet à l'épiscopat, en 1516, va permettre à ce groupe,
rassemblé à Meaux, de mettre ses idées en pratique. On lutte contre
l'absentéisme des clercs, on insiste sur la prédication de la Parole
(Lefèvre publie, en 1525, les Épitres et Évangiles
demander des augmentations de salaire, interdiction des c confréries » qui
devenaient instrument de combat. Le pouvoir se range du côté des patrons,
désireux avant tout de maintenir l'ordre à l'heure des conflits extérieurs,
à l'heure aussi des problèmes intérieurs posés par l'extension de la
Réforme.
Les débuts de la Réforme
Dans le grand déchirement de la chrétienté, le choix de la France, de son
peuple et de son souverain, pouvait être décisif. La pénétration de la
Réforme dans le royaumeOn associe le peuple à la prière sacerdo
taie (récitation du Credo et du Pater en français), on lutte contre les
formes superstitieuses de dévotion, on diminue le culte rendu aux saints
pour exalter la toute-puissance de Dieu, on met l'Écriture à la portée des
fidèles (1523 : traduction du Nouveau Testament par Lefèvre). Ces tendances
rejoignent les efforts d'Érasme pour une religion intériorisée, aux rites
simplifiés, aux observances limitées. Elles vont dans le sens souhaité par
les milieux humanistes du royaume. Mais elles arrivent au moment même où
Luther rompt avec Rome et développe ses idées. Aux uns, les fabristes
apparaissent comme trop modérés. Aux autres, comme les fourriers de
l'hérésie. Au vrai, Lefèvre après 1520, évolue vers des formules moins
orthodoxes, peut-être sous l'influence du Réformateur dont il connaît les
oeuvres. S'il reste fidèle au libre-arbitre et à l'action de la volonté
humaine dans l'oeuvre du salut, il insiste sur la foi, pense que les
sacrements n'agissent qu'avec elle, réduit le rôle des oeuvres, rejette les
« traditions humaines, lesquelles ne peuvent sauver » et semble bien ne plus
croire à la présence réelle.
Dès 1519, les écrits de Luther circulent en France et la Sorbonne est
appelée à juger ses thèses. Le syndic Noël Bédier poursuit à la fois les
idées de Luther (censurées en avril 1521) et celles de Lefèvre (réfutation
de son Traité des trois Maries). Dans les années suivantes, cette tactique
de l'amalgame est celle de la Sorbonne et du Parlement.
En 1523, tandis qu'on brûle le premier martyr du protestantisme français, le
groupe de Meaux est attaqué. Briçonnet, effrayé des progrès de l'hérésie,
condamne les idées de Luther tandis qu'une partie des disciples de Lefèvre
(Guillaume Farel, Caroli) passe ouvertement à la Réforme. En 1525, pendant
la captivité du roi, qui avait jusque-là protégé les humanistes, l'offensive
reprend. Lefèvre et Roussel, menacés d'arrestation, fuient à Strasbourg (où
ils se familiarisent avec les idées des Sacramentaires). A son retour,
François 1 er sous l'influence de sa sueur, Marguerite de Navarre, rappelle
Lefèvre.
Mais les temps d'une Réforme modérée, limitée, établie sur l'optimisme des
humanistes érasmiens étaient passés. Sans qu'on puisse souvent établir un
partage entre l'hérésie et l'orthodoxie, sans que les courants de la Réforme
soient toujours bien caractérisés, un nombre sans cesse plus grand de < mal
sentants » de la foi se déclarait. Tous les milieux pouvaient être touchés.
Si les premiers protestants français sont souvent des moines, des clercs,
des gens d'humble condition, on y trouve aussi des gentilshommes, comme
Louis de Berquin, traducteur de Luther, deux fois sauvé par la faveur
royale, finalement arrêté, jugé et exécuté en quelques semaines en 1529,
pendant une absence du souverain.
LE fait montre les hésitations de François 1 Or (et aussi les limites du
pouvoir monarchique). Ami des lettres et des arts, peu enclin aux subtilités
des théologiens de Sorbonne méfiant à l'égard du parlement, le roi toléra
longtemps, au nom de ses amitiés humanistes, une certaine tendance
réformiste. Il y était encouragé par sa sueur Marguerite, qui accueille en
1529 le vieux Lefèvre à Nérac, qui protège à Alençon l'imprimeur Simon
Dubois, qui fait confier en 1531-1533 les prédications du Carême au Louvre à
Gérard Roussel. Mais le durcissement des positions des deux confessions
exige une décision. A SUIVRE
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